Cent
ans après sa mort les tropéziens se découvrent une nouvelle gloire maritime,
inconnue d’eux jusque-là, mais aussi vénérée en Argentine comme héros national
que Garibaldi l’est en Uruguay.
En
ce mois de juin 1937 Saint-Tropez, une
nouvelle sidérante tombe sur le bureau du Maire Léon Volterra .
Le
préfet maritime informe la municipalité qu’elle recevra la visite au mois
d’aout suivant d’une délégation de la marine de guerre Argentine afin de rendre
hommage au héros national (argentins) Hippolyte BOUCHARD « le
tropézien » comme il aimait se qualifier lui-même !
Tout
d’abord on s’inquiète de ce « natif » ! Ne serait-ce pas une
erreur ? Ouf ! Les recherches dans les registres indiquent bien qu’un
Hippolyte BOUCHARD est né à Saint-Tropez le 30 mars 1796. Ça devrait coller,
sauf qu’un commandant de frégate de 18 ans c’est un peu jeune ! Bah,
après-tout à l’époque tous les généraux avaient 20 ans !
Alfred
VACHON est appelé pour réaliser un souvenir en forme d’une œuvre représentant
le port de Saint-Tropez à léguer aux futurs hôtes, en échange de cet
inattendu cadeau !
Tout
cela est relaté dans un article de la presse locale qui relate la cérémonie du 19
août dans la grande salle de la mairie et retranscrit les discours du premier
adjoint VACHON et du commandant du navire école « El Présidente
Sarmiento » ancré dans la rade de Villefranche. (Voir journal de bord du
Présidente Sarmiento et la retranscription de l’article en annexe).
El présidente SARMIENTO à quai. |
Une
fois remis de ces émotions des tropéziens curieux se mettent en quête de ce
personnage atypique, sorte de Garibaldi avant la lettre, piètre commerçant et
avant tout guerrier, marin, corsaire, et… cavalier, qui comme son illustre successeur a fait sa
carrière loin de sa cité d’enfance, aimait les tenues exotiques, l’aventure
plutôt que la vie de famille et avait
comme lui un caractère de chien.
Bartolomé Mitre (homme
politique argentin) décrit Hipólito
Bouchard comme ayant la peau sombre, des cheveux noirs, et les yeux perçants
noirs, qui « lancent le feu » comme pour révéler son tempérament. Il était
connut et remarqué pour parler dans un mélange d’espagnol et de provençal. Infatigable
et volontaire, il n’hésitait pas à admonester ses soldats les plus
récalcitrants à coup de plat de sabre.
Enfin
les recherches aboutissent à un Paul André BOUCHARD inscrit maritime engagé
dans la marine française dont le profil correspond à notre
« revenant ». En définitive on le retrouve né à Bormes-les-Mimosas et
voilà ce qui est écrit sur le registre paroissial :
Dans l'année de 1780
dans le seizième de Janvier a été baptisé par moi prêtre soussigné, André Paul
Bouchard, né hier, fils d'André Louis Bouchard, aubergiste, et Thérèse Brunet,
mariés à Saint-Tropez. Signé. Gavin,
Parrain sous brigadier
Noel Daumas dans les domaines du roi, marraine Marie Anne Marques.
Ce
changement de prénom ne constitue que le premier mystère ou tout au moins une coquetterie
dans la vie de ce téméraire tropézien !
D'après
le matricule des marins de Saint-Tropez, (4P59 N°148/587 et 4P60 N° 80/318),
André Paul Bouchard est inscrit le 5 fructidor An VII (22/08/1799) de la
République, 5ème levée complémentaire, pour l'école des apprentis canonniers.
Il commence sa carrière de canonnier sur le vaisseau "Généreux".
Combat du Généreux contre le HMS Leander le 18 août 1798 |
Une année avant qu’Hippolyte ne s’embarque le « Généreux »
est un des deux seuls navires pouvant s'enfuir après la bataille d’Aboukir. Juste après, au large de la Crète il rencontre le HMS Leander (de 50
canons), le 18 août 1798. Lors du combat qui suivit, malgré ses 100 morts et
180 blessés, le Généreux capture le vaisseau britannique qui avait de
son côté 35 morts et 57 blessés.
Le 18 février 1800 lors de l’affaire du convoi de Malte, le « Généreux »
est capturé par les anglais. Un jeune lord, Sir Thomas Cochrane, prend alors le
commandement navire il est chargé de le convoyer vers Minorque, Bouchard
étant à bord.
Effet du destin, 19 ans plus tard, les deux hommes se
croiseront dans des circonstances encore plus dramatiques : le premier
exilé, devenu citoyen chilien commandant
de la marine de ce pays emprisonnera le second (une fois de plus) et le fera juger pour piraterie !
(Ce crime ne fut jamais avéré, l’ex anglais en voulant surtout
au butin amassé par André Paul devenu Hippolyte – La perfidie appartenant
certainement plus à ses fils, même reniés, qu’à Albion elle-même).
Mais revenons à la carrière de notre marin : D'après son rôle d'équipage (2E663), son nouveau bateau, la
"Badine", quitte Toulon le 19 nivôse An X (09/01/1802) Il est au Cap
(Saint Domingue) du 28 pluviôse (17/02 /1802 ) au 14 ventôse (05/03/1802)
pendant l’expédition Leclerc . Puis à Cherbourg, du 23 au 29 germinal (Avril
1802) ; ensuite à Brest, le 14 floréal (4 mai 1802).
Il ne trouve pas son compte dans la Marine impériale. Déçu, dit-on, par Napoléon qui ne tient pas les promesses de Bonaparte. Il part outre-Atlantique.
Il navigue au commerce dans les nouveaux états d'Amérique
pendant 6 ans où il affirme ses qualités de marins et de commandement. Dans les
mémoires connus, rien ne transparaît sur les réelles activités de Bouchard pendant
ses 7 années, quels mystères cache ce silence ?
Mais des limiers tropéziens et argentins, dignes descendants
des curieux de 1937 ayant mis à jour la réelle identité d’Hippolyte BOUCHARD,
sont sur la piste des agissements d’André
Paul ….
Symbole des provinces du Rio de la Plata |
Il arrive à Buenos Aires en 1809, quelques mois avant le
début de la Révolution de Mai.
Se souvenant de son passé militaire et instruit des idées révolutionnaires, il
s'oriente rapidement vers la cause de l'indépendance argentine et met ses
connaissances navales à la disposition de cette cause.
Il sera le deuxième commandant de la toute nouvelle
armada argentine, sous Juan
Bautista AZOPARDO , qui le recommandera chaleureusement par la suite. (AZOPARDO, marin maltais
avait été lui-même le second d’ Hippolyte MORDEILLE autre marin provençal) le 2 Mars 1811 à San Nicolás de los Arroyos,
il connaît son baptême du feu pour la cause de la révolution Argentine en embarquant
sur le brick "25 mai" il combattit
vaillamment l'escadre royaliste commandée par le capitaine Jacinto de
Romarate. Puis on le vit jouer un rôle majeur dans la défense de Buenos Aires
en juillet de la même année.
Jose de San Martin |
Après
ces hauts faits André-Paul Bouchard se
fait appeler Hippolyte, prénom de son jeune frère né à Saint-Tropez, est-ce une
nouvelle coquetterie ou pour bien marquer son appartenance à la ville de ces
ancêtres baignée de gloires militaires ? On peut le penser puisqu’il aime
adjoindre à son nom le qualificatif « tropézien », d’ailleurs les
argentins ne s’y tromperont pas puisqu’ils viendront directement dans la cité
du Bailli en boudant la cité du mimosa !
On
peut aussi penser que Bouchard ait adopté le prénom d’un autre provençal
corsaire, qui était le capitaine du bâtiment où servait Juan Bautista
Azopardo en 1805. Ce marin français a participé à la
reconquête de Buenos Aires en 1806 et
trouva la mort lors de la défense de Montévidéo. Son nom Hippolyte MORDEILLE et
celui de ces hommes « los
corsarios franceses » devaient être sur toute les
bouches.
Là
encore l’équipe de fins limiers Argentino-tropéziens
cité plus haut sont à l’œuvre pour dénouer
de ce nouveau mystère. Espérons donc deux scoop pour le prix d’un !
En 1813 il se marie en coup de vent
avec Norberta Merlo, la fille d’un ex-officier espagnol devenu son ami et sur
lequel il comptait pour asseoir son ascension sociale, cet officier qui avait
combattu à Trafalgar au côté des français en 1805 en prenant la cause argentine devait
donc avoir une certaine reconnaissance de la part des personnalités locales. Il
eut avec elle une fille, puis plus aucune relation, semble-t-il.
Au
lieu de construire une vie de famille, il continue ses exploits et 27 juin 1816 il reçoit de Vincente Echevarria
(homme politique et armateur argentin) une « lettre de marque » qui le fait
corsaire argentin entame un épique tour du monde au
commandement de la frégate Argentina.
On
rapporte qu’à cette époque, et ce serait une nouvelle coquetterie? Que profitant de la traversée vers le cap de Bonne Espérance il
fomenta le projet de délivrer Napoléon à Sainte-Hélène, personnage qu’il
admirait semble-t-il malgré la désaffection dont il a pu faire preuve en 1802, cette énigme sera sans doute résolue au fil des recherches historiques.
Toutefois
il cingle vers Madagascar en 1817, où il
attaque les bateaux négriers français et anglais sans distinction à Tamatave et
les pirates aux îles Hawaï en 1818 où il demande gentiment au roi du pays de
signer la reconnaissance de la république Argentine (ce sera le premier pays qui
le fit !) Puis, on le retrouve aux îles de Java et de Sumatra et au large
de la Chine.
En
Californie où il affronte à nouveau
l’occupant espagnol pour le chasser de Monterey le 6 décembre 1818. Il rejoint
ainsi un autre héros imaginaire contemporain qu’il aurait aimé connaître (Don
Diego de la Vega, dit Zorro !)
Les
californiens ont été impressionné certainement par Bouchard qui a démontré que
« l’occupant historique » pouvait être vaincu, mais ils ont
certainement moins apprécié les mise à sac après l’attaque, malgré le distinguo
qui avait été prescrit entre les biens espagnols et américains !L'Argentina sur laquelle H BOUCHARD se rendit maître de la Californie |
Lorsque
vous allez aujourd'hui à Santa Barbara par la route de Los Angeles 101, sur une
longue jetée à la plage, vous pouvez voir de grands mâts avec les drapeaux des
nations qui occupaient autrefois la Californie: Espagne, Russie, Mexique,
États-Unis et l'Argentine. Et au deuxième étage de la Cour du comté de Santa
Barbara, vous pouvez voir une fresque de Théodore Van Cina représentant
l'occupation de Hipólito Bouchard, en 1818, «l'année des insurgés"
Après
l’épisode de Valparaiso où il fut jugé par les chiliens, accusé par Cochrane de
piraterie, il participera à l’indépendance du Pérou en devenant même commandant
en chef de sa flotte !Sir Thomas COCHRANE |
Cet homme nourri des idées révolutionnaires qui s’était physiquement engagé pour lutter contre le trafic d’esclaves les armes à la main et donc pour droits de l’homme, n’en avait peut-être pas appréhendé toutes les nuances parce que le 4 janvier 1837 (seule historiquement attestée) un employé (certains récits parlent d'esclave ou péon) qu’il avait selon son habitude vertement corrigé, l’a froidement poignardé.
Son corps, rapatrié en 1992, repose au Panthéon de la Marine, à Buenos-Aires. Une grande place de la capitale de l’Argentine porte son nom. La ville de Saint-Tropez ou il a appris son métier de marin a honoré Bouchard en donnant son nom à un quai du vieux port près du musée de l’Annonciade en 1965.
Bormes-les-Mimosas honore H. Bouchard par une stèle
commémorative, en tant qu’héros de l'indépendance de l'Argentine. Son souvenir
est commémoré chaque 9 juillet.
JOURNAL
DE BORD DU NAVIRE ECOLE « EL PRESIDENTE SARMIENTO »
Îles Baléares: En arrivant à la 8ème destination dans l'après-midi, après une navigation de 1.805 miles. Un fonctionnaire du croiseur américain Raleigh est venu à bord pour saluer le commandant.
Le commandant, Alberto Luque Gallegos et quelques officiers et cadets se transportent à Paris, où, en l'absence de l'ambassadeur, ont avec le directeur M. Robert Gâche, visité le ministre de la Marine et chef d'état-major de la Marine.
Ils ont visité le pavillon de l’Argentine à l’occasion de l’ouverture de l’exposition universelle de 1937.
Un déjeuner est offert au ministre français du commerce et d'industrie, les autorités françaises, le personnel de l'ambassade et commissaires et de leurs épouses, qui a eu lieu dans le Pavillon d' Armenonville dans le Bois de Boulogne, en remerciement de leur hospitalité.
Le 14 Août ils retournèrent à Villefranche-sur-Mer, ils arrivèrent le lendemain dans la matinée, les jours suivants ont eu lieu des visites instructives, dont l'une, au Musée Océanographique de Monaco.
Le 19 Août, le commandant, trois officiers et cadets se transportent à Saint Tropez pour commémorer le souvenir d' Hipólito Bouchard, offert par la municipalité de cette ville, pour être placé sur le ARA Bouchard, à la mémoire du héros de notre marine qui était originaire de ce lieu.
La délégation Argentine et le conseil municipal de St Tropez le 19 08 1937 |
L’après-midi du dernier jour préparatif pour gagner pour Naples à la voile.
Visite frégate école par SAR le Prince Umberto di Savoia, héritier du trône d'Italie. Le 24 août 1937.
Notes
Ce récit a pour but de compléter les textes de vulgarisation déjà nombreux parus sur la toile ou dans la presse. Cela reste un travail d'amateur même s'il est le plus objectif possible , il est sûrement entaché d'erreurs pouvant provenir de l'ignorance de son auteur mais aussi aux traductions de l'espagnol vers le français quelquefois approximatives.
Coïncidence
Les
tropéziens noterons une nouvelle coïncidence intéressante : Le 17 mai marque le "Jour de l'Argentine Navy" date glorieuse dans les annales de la République, en ce qui
concerne la consolidation des principes de la Révolution de mai avec la
victoire navale de Montevideo, obtenu par notre flotte commandée Amiral
Brown sur la flotte de la Royal Navy qui avait sa colonie espagnole dans ce
port.
Le décret n ° 5304 du 12 mai 1960 a été signé par le Président de la Nation Dr Arturo Frondizi.
Cette date évoque la victoire qui a permis à conjurer le danger de la puissance navale ennemie dans les eaux du Rio de la Plata, et qui a également permis à mener à bien les campagnes libératrices du Chili et du Pérou.
Le décret n ° 5304 du 12 mai 1960 a été signé par le Président de la Nation Dr Arturo Frondizi.
Cette date évoque la victoire qui a permis à conjurer le danger de la puissance navale ennemie dans les eaux du Rio de la Plata, et qui a également permis à mener à bien les campagnes libératrices du Chili et du Pérou.
Commémorations
Le 6 août 2007, soixante
dix ans après, le grand voilier argentin "
Libertad " qui est venu participer au rassemblement des grands voiliers
dans le port de Toulon, a fait escale devant le port de Saint-Tropez. Des manifestations
du souvenir ont eu lieu en Mairie et des élus municipaux se sont ensuite rendus à Buenos-Aires en visite
d’amitié et de courtoisie.
Epilogue
provisoire
Sur les relations entre l'Argentine et Saint-Tropez, il y a aussi en 2012 le
don par l'état argentin d'un buste de Bouchard qui se trouve au musée de la
Citadelle (en présence de l'ambassadeur). C'est le même qui se trouve au musée
naval de Buenos Aires. En 2014, l'amiral Alvaro Gonzales Lonzieme, n°2 de la
Marine est venu à Saint-Tropez et a été reçu officiellement par la Ville.
Remerciements
Notes
Biographique
« Hippolyte
Bouchard Corsaire » Par Claude Alain Saby édition « The book edition » (édition en
ligne, un livre est créé pour chaque demande en ligne – le pdf coute environ 5
euros et le livre 10 euros).
« El
capitan Bouchard corsaire de la liberté » Par Georges Fleury et Hubert
Jacquey édition Glénat.
Les
recherches sur le net ont été faites sur
Wikipédia ;
Blog
la marcophilie navale de Jean Michel BERGOUGNOU (http://envelopmer.blogspot.fr/2014/02/hippolite-bouchard-guerre-des-provinces.html);
Blog
Latitud Argentina de Patagon (http://www.latitud-argentina.com/blog/hippolyte-bouchard-argentine/).
Avec l'aide de:
Laurent PAVLIDIS conservateur du musée de la marine de Saint Tropez
François COPPOLA Ancien adjoint au maire et ancien capitaine de Ville.
Je remercie également tout ceux qui ont fait part de leur remarques pour améliorer l'article et l’expurger des erreurs et approximations.
Je remercie également tout ceux qui ont fait part de leur remarques pour améliorer l'article et l’expurger des erreurs et approximations.
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