Article écrit à l'occasion de la bravade de 1981
par Miguel Riffaud érudit tropézien auteur et illustrateur de talent.
MIGUEL RIFFAUD juillet 1930 - juillet 2008 |
Les Tropéziens se retrouveront dans la rue les uns spectateurs, les autres acteurs pour l’accomplissement d’un cérémonial connu de tous dès l’enfance.
Paradoxe, la capitale de la dolce-vita, la ville symbole du plaisir, de libérations et d’avant-garde en tout genre, est sans doute la ville de France qui a su le mieux maintenir ses traditions dans leur pureté.
Mieux ! Jamais la Bravade n’a été si brillante, tant
par l’affluence des participants que par leur ferveur. A l’heure où les sociologues déplorent la mort de la fête, la
Bravade se maintient avec une joyeuse insolence. Il serait peut-être bon de se
demander POURQUOI ?
Des palais aixois aux villages gavots, la longue marche des
bravadeurs.
La Bravade de Saint-Tropez est la survivance d’une forme de
festivité propre à un territoire comprenant le Var, les Alpes de Hautes
Provence et une partie des Alpes Maritimes.
Née des cérémonies aixoises de la Saint-Jean et le la Fête
Dieu instaurée par Charles et René d’Anjou cette forme de procession militaire
va se généraliser aux XVIe et XVIIe siècles, époque de troubles de guerres et
d’invasions. En ces temps d’insécurité, l’organisation d’une défense autonome
est une question de survie pour les cités. Des milices se constituent, on s’équipe
de mousquets et de pièces d’artillerie. Il est de bonne politique que les
communes qui ont engagé le de grands frais pour la défense, les justifient le
jour de la fête patronale par une parade militaire.
Sur un autre plan, à la même époque, le Concile de Trente
Clôt ses débats en 1563. C’est le début de la Contre-réforme. Pour lutter
contre le protestantisme l’Eglise va se vouloir attrayante, multiplier les
processions, les chants, les musiques, les manifestations les plus diverses.
L’art baroque et l’opéra naitront de cette Eglise-Spectacle.
Ex-voto évoquant la légende de saint Tropez en forme de retable provenant d'une chapelle privée circa 1900 (ht 70 cm) |
Dans le midi de la France, certains ordres comme les
Capucins, vont encourager toutes sortes de formes de piété populaire comme les
crèches et transformer les fêtes des milices que l’on commence à appeler
Bravades, en cérémonie à prétextes religieux.
Le calme revenu, les Bravades se maintiennent,
manifestations d’attachement à l’indépendance communale et au culte de saints
populaires.
A Saint-Tropez en 1672, lorsque le pouvoir royal (Louis XIV*)
désarme la milice la Bravade est la réponse d’un peuple qui ne veut pas se
laisser museler par l’absolutisme. Elle devient vraiment une Bravade dans le
sens académique du terme.
Un particularisme qui dérange.
Ce particularisme méridional n’est pas sans intriguer, voire
agacer ou inquiéter les autorités religieuses et civiles.
En 1699, Monseigneur Berton de Crillon, évêque de Vence,
relate avec un étonnement amusé sa réception à Saint-Laurent-du-Var. « par
plusieurs habitants commandés par un officier, qui après avoir salué avec sa
pique aurait fait faire une décharge à ses gens. » Quarante ans plus tard
dans le même diocèse, le curé prieur de Coursegoules se plaint que dans sa paroisse on ait fait une
sorte de divinité du tambour, « qui,
a plus d’amis et protecteurs que le seigneur des seigneurs et le roi des
rois. »
Une bravade sous Louis XV vue par Miguel Riffaud |
A la veille de 1789 le Haut Clergé est presque unanime à
vouloir faire cesser ces manifestations étranges qui lui échappent.
La Révolution non plus n’est pas tendre à l’égard des
Bravades qu’elle fait interdire.
Après le
rétablissement du culte, le premier préfet du Var, Fauchet, en visite à
St-Tropez le jour de la Bravade de l’an X (1802) décrit celle-ci au ministre de
l’intérieur comme une extravagance meurtrière.
La restauration sera par contre une période faite pour les
Bravades, occasion pour les nostalgiques de la Grande Armée de ressortir leur
défroques de hussards ou de grenadiers. En 1851, lors du coup d’état de
Napoléon III on verra nombre de bravadeurs de Barjols, Vidauban, St Tropez, La
Garde-Freinet parmi les insurgés « faire péter » pour la défense de
la République.
Une bravade sous la 2e République (collection Oustaou de la bravado) |
Plus tard les bravades font pâtir des querelles religieuses
qui divisent la France de la Belle Epoque. En 1883, 1906, 1907, les tromblons
restent muets à St-Tropez. Dans de nombreux villages du Var, dont la
Garde-Freinet, ils vont se taire pour toujours.
Dans les Alpes de Hautes Provence c’est la guerre de 14-18
qui sonnera le glas des Bravades. Les villages subissent des hémorragies
effrayantes et les survivants n’ont plus le cœur à entendre les détonations
qu’ils ont prises en horreur.
A St-Tropez il faudra beaucoup de courage à quelques
irréductibles en 1921, groupés autour de celui qui va devenir le
« cépoun » Louis SANMARTIN pour faire repartir la Bravade, face à un
Maire qui les regarde « comme une poignée dont la moitié est ivre et
débraillée » et ajoute « que cela est grotesque ».
Consécration.
La Bravade de St Tropez se maintient. Huit jours après la
fin de la deuxième guerre mondiale, le 15 mai 1945, comme par défi au milieu
des ruines et des décombres du port elle déroule son cortège en présence du
ministre de la Marine, de l’Ambassadeur de Grande Bretagne et des attachés
militaires américains et soviétiques.
C’est la consécration. Depuis, la Bravade
n’a fait que croître et embellir dans une ville qui a subi la brutale
mutilation que l’on sait. Un esprit superficiel pourrait penser qu’elle
représente un argument touristique de plus pour St-Tropez. Il n’en est rien.
Bruyante, interminable, se conformant à un cérémonial archaïque, ne faisant
appel à aucune publicité, la fête est en désaccord total avec la clientèle
habituelle de St-Tropez qu’elle dérange le plus souvent, même si quelques-uns
subissent le coup de foudre et se laissent prendre à son charme insolite. Face
à l’agression de la civilisation du loisir de masse elle est pour la ville
l’expression d’une certaine volonté de préservation de son identité.
C’est aussi pour quelques jours une fraternité »
retrouvées entre gens de tous âges, toutes conditions, toutes opinions. C’est
pour nombre de jeunes chassés de leur ville par la spéculation immobilière
l’occasion de redevenir citoyen de la cité mère, une Reconquista de quelques
heures. C’est la fête un rassemblement chaleureux et fervent ignoré maintenant dans la plupart des
villes.
Parmi les autres causes du maintien de la Bravade à St
Tropez, il y a le dévouement de ceux qui la fête dure toute l’année et qui
œuvrent sous l’égide du nouveau Cépoun Marius ASTEZAN qui en 1968 succède à
Louis SANMARTIN le patriarche.
Un Saint nommé Tropez.
Il y a aussi la personnalité de celui à qui est dédiée la
Bravade. Saint Tropez dont on a parfois tendance à oublier qu’il fut un homme
avant d’être une ville !
Les Saints Patrons des villages de Provence honorés par les
Bravades étaient dans leur vie terrestre des théologiens, des prélats comme
Marcel (Barjols*) des ermites comme François de Paule (Fréjus*) des prophètes
comme Jean-Baptiste, voire des moniales ou des vierges et martyres (Ste
Maxime*), bref des gens de bien mais un peu étrangers à l’appareil militaire
déployé en leur honneur.
Saint-Tropez officier de Néron, est bien par contre
parfaitement à son aise dans un cortège où il préside en uniforme de centurion.
L’image de ce jeune homme généreux de ses biens et de sa vie
comme seul on sait l’être à vingt ans ne cesse de nous dire : Mort où est
ta victoire ? N’a rien perdu de sa force. Quelle que soit sa motivation
profonde, chaque bravadeur est fier de lui présenter les armes comme pour
saluer un ami venu du fond des âges.
Miguel
Riffaud.
(*) Notes du
transcripteur
Miguel, c'était une vrai "bible"sur ST Tropez, !et avec cela la gentillesse incarnée! !!!ce récit et ces photos sont magnifiques et très recherché! !!!!
RépondreSupprimerMiguel nous manque, quel personnage, bien connu à l'usine et au syndicat. vous avez marqué en tête "érudit", c'est bien le terme !
RépondreSupprimerJe ne suis pas Tropeziens mais en lisant ces quelques lignes, je me dis que les Tropeziens ont bien de la chance. Le contraste entre l’image renvoyée depuis les années 60 et la réalité d’une histoire d’hommes et de femmes qui résistent à tout les pouvoirs.
RépondreSupprimerChapeaux bas à ces Tropeziens et que la Bravade ne cesse jamais et c’ est bien vous qui avez raisons de faire perdurer une si belle histoire.
Magnifique, merci
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