vendredi 8 mai 2015

POURQUOI LA BRAVADE ?



Article écrit à l'occasion de la bravade de 1981  
par Miguel Riffaud érudit tropézien auteur et illustrateur de talent.

  

  
Auteur, illustrateur de talent, érudit et bravadeur
MIGUEL RIFFAUD juillet 1930 - juillet 2008




Dans quelques jours la Bravade va à nouveau évoluer dans Saint-Tropez sous la conduite de François COPPOLA  423e Capitaine de Ville, son cortège bruyant et coloré. 

 Les Tropéziens se retrouveront dans la rue les uns spectateurs, les autres acteurs pour l’accomplissement d’un cérémonial connu de tous dès l’enfance. 

Paradoxe, la capitale de la dolce-vita, la ville symbole du plaisir, de libérations et d’avant-garde en tout genre, est sans doute la ville de France qui a su le mieux maintenir ses traditions dans leur pureté.
Mieux ! Jamais la Bravade n’a été si brillante, tant par l’affluence des participants que par leur ferveur. A l’heure où les  sociologues déplorent la mort de la fête, la Bravade se maintient avec une joyeuse insolence. Il serait peut-être bon de se demander POURQUOI ?


Des palais aixois aux villages gavots, la longue marche des bravadeurs.


La Bravade de Saint-Tropez est la survivance d’une forme de festivité propre à un territoire comprenant le Var, les Alpes de Hautes Provence et une partie des Alpes Maritimes.


Née des cérémonies aixoises de la Saint-Jean et le la Fête Dieu instaurée par Charles et René d’Anjou cette forme de procession militaire va se généraliser aux XVIe et XVIIe siècles, époque de troubles de guerres et d’invasions. En ces temps d’insécurité, l’organisation d’une défense autonome est une question de survie pour les cités. Des milices se constituent, on s’équipe de mousquets et de pièces d’artillerie. Il est de bonne politique que les communes qui ont engagé le de grands frais pour la défense, les justifient le jour de la fête patronale par une parade militaire.


Sur un autre plan, à la même époque, le Concile de Trente Clôt ses débats en 1563. C’est le début de la Contre-réforme. Pour lutter contre le protestantisme l’Eglise va se vouloir attrayante, multiplier les processions, les chants, les musiques, les manifestations les plus diverses. L’art baroque et l’opéra naitront de cette Eglise-Spectacle.
Ex-voto évoquant la légende de saint Tropez en forme de retable provenant d'une chapelle privée circa 1900 (ht 70 cm)


Dans le midi de la France, certains ordres comme les Capucins, vont encourager toutes sortes de formes de piété populaire comme les crèches et transformer les fêtes des milices que l’on commence à appeler Bravades, en cérémonie à prétextes religieux.

Le calme revenu, les Bravades se maintiennent, manifestations d’attachement à l’indépendance communale et au culte de saints populaires. 

A Saint-Tropez en 1672, lorsque le pouvoir royal (Louis XIV*) désarme la milice la Bravade est la réponse d’un peuple qui ne veut pas se laisser museler par l’absolutisme. Elle devient vraiment une Bravade dans le sens académique du terme.


Un particularisme qui dérange.


Ce particularisme méridional n’est pas sans intriguer, voire agacer ou inquiéter les autorités religieuses et civiles.


En 1699, Monseigneur Berton de Crillon, évêque de Vence, relate avec un étonnement amusé sa réception à Saint-Laurent-du-Var. « par plusieurs habitants commandés par un officier, qui après avoir salué avec sa pique aurait fait faire une décharge à ses gens. » Quarante ans plus tard dans le même diocèse, le curé prieur de Coursegoules  se plaint que dans sa paroisse on ait fait une sorte de divinité  du tambour, « qui, a plus d’amis et protecteurs que le seigneur des seigneurs et le roi des rois. »

Une bravade sous Louis XV vue par Miguel Riffaud


A la veille de 1789 le Haut Clergé est presque unanime à vouloir faire cesser ces manifestations étranges qui lui échappent.


La Révolution non plus n’est pas tendre à l’égard des Bravades qu’elle fait interdire.

 Après le rétablissement du culte, le premier préfet du Var, Fauchet, en visite à St-Tropez le jour de la Bravade de l’an X (1802) décrit celle-ci au ministre de l’intérieur comme une extravagance meurtrière.


La restauration sera par contre une période faite pour les Bravades, occasion pour les nostalgiques de la Grande Armée de ressortir leur défroques de hussards ou de grenadiers. En 1851, lors du coup d’état de Napoléon III on verra nombre de bravadeurs de Barjols, Vidauban, St Tropez, La Garde-Freinet parmi les insurgés « faire péter » pour la défense de la République.

Une bravade sous la 2e République (collection Oustaou de la bravado)



Plus tard les bravades font pâtir des querelles religieuses qui divisent la France de la Belle Epoque. En 1883, 1906, 1907, les tromblons restent muets à St-Tropez. Dans de nombreux villages du Var, dont la Garde-Freinet, ils vont se taire pour toujours.

Dans les Alpes de Hautes Provence c’est la guerre de 14-18 qui sonnera le glas des Bravades. Les villages subissent des hémorragies effrayantes et les survivants n’ont plus le cœur à entendre les détonations qu’ils ont prises en horreur.


A St-Tropez il faudra beaucoup de courage à quelques irréductibles en 1921, groupés autour de celui qui va devenir le « cépoun » Louis SANMARTIN pour faire repartir la Bravade, face à un Maire qui les regarde « comme une poignée dont la moitié est ivre et débraillée » et ajoute « que cela est grotesque ».

 
Bravade des "éclopés" 1921


Consécration.


La Bravade de St Tropez se maintient. Huit jours après la fin de la deuxième guerre mondiale, le 15 mai 1945, comme par défi au milieu des ruines et des décombres du port elle déroule son cortège en présence du ministre de la Marine, de l’Ambassadeur de Grande Bretagne et des attachés militaires américains et soviétiques. 

 
Bravade sur le port de Saint-Tropez en ruine

C’est la consécration. Depuis, la Bravade n’a fait que croître et embellir dans une ville qui a subi la brutale mutilation que l’on sait. Un esprit superficiel pourrait penser qu’elle représente un argument touristique de plus pour St-Tropez. Il n’en est rien. Bruyante, interminable, se conformant à un cérémonial archaïque, ne faisant appel à aucune publicité, la fête est en désaccord total avec la clientèle habituelle de St-Tropez qu’elle dérange le plus souvent, même si quelques-uns subissent le coup de foudre et se laissent prendre à son charme insolite. Face à l’agression de la civilisation du loisir de masse elle est pour la ville l’expression d’une certaine volonté de préservation de son identité.

 
Le cépoun SANMARTIN

C’est aussi pour quelques jours une fraternité » retrouvées entre gens de tous âges, toutes conditions, toutes opinions. C’est pour nombre de jeunes chassés de leur ville par la spéculation immobilière l’occasion de redevenir citoyen de la cité mère, une Reconquista de quelques heures. C’est la fête un rassemblement chaleureux et  fervent ignoré maintenant dans la plupart des villes.

Parmi les autres causes du maintien de la Bravade à St Tropez, il y a le dévouement de ceux qui la fête dure toute l’année et qui œuvrent sous l’égide du nouveau Cépoun Marius ASTEZAN qui en 1968 succède à Louis SANMARTIN le patriarche.



Un Saint nommé Tropez.


Il y a aussi la personnalité de celui à qui est dédiée la Bravade. Saint Tropez dont on a parfois tendance à oublier qu’il fut un homme avant d’être une ville !

Les Saints Patrons des villages de Provence honorés par les Bravades étaient dans leur vie terrestre des théologiens, des prélats comme Marcel (Barjols*) des ermites comme François de Paule (Fréjus*) des prophètes comme Jean-Baptiste, voire des moniales ou des vierges et martyres (Ste Maxime*), bref des gens de bien mais un peu étrangers à l’appareil militaire déployé en leur honneur.


Saint-Tropez officier de Néron, est bien par contre parfaitement à son aise dans un cortège où il préside en uniforme de centurion.


L’image de ce jeune homme généreux de ses biens et de sa vie comme seul on sait l’être à vingt ans ne cesse de nous dire : Mort où est ta victoire ? N’a rien perdu de sa force. Quelle que soit sa motivation profonde, chaque bravadeur est fier de lui présenter les armes comme pour saluer un ami venu du fond des âges.

                                                                                                                      Miguel Riffaud.

(*) Notes du transcripteur

3 commentaires:

  1. Miguel, c'était une vrai "bible"sur ST Tropez, !et avec cela la gentillesse incarnée! !!!ce récit et ces photos sont magnifiques et très recherché! !!!!

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  2. Miguel nous manque, quel personnage, bien connu à l'usine et au syndicat. vous avez marqué en tête "érudit", c'est bien le terme !

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  3. Je ne suis pas Tropeziens mais en lisant ces quelques lignes, je me dis que les Tropeziens ont bien de la chance. Le contraste entre l’image renvoyée depuis les années 60 et la réalité d’une histoire d’hommes et de femmes qui résistent à tout les pouvoirs.
    Chapeaux bas à ces Tropeziens et que la Bravade ne cesse jamais et c’ est bien vous qui avez raisons de faire perdurer une si belle histoire.

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