Surveillance de la rivière Argens, sur le pont de Roquebrune tel qu'on peut le voir encore aujourd'hui. |
C’est un panneau de 90 cm de large et 57 cm de haut, délicieusement patiné par le temps, minutieusement calligraphié à la plume d'oie réhaussé d'un lavis bleuté pour le titre et surligné de traits d'or. On peut y lire:
ÉTAT ET DÉTAIL DU DISTRICT DE LA BRIGADE DE LA MARECHAUSSEE DE PROVENCE
A LA RÉSIDENCE DU LUC DISTANTE DE TREIZE
LIEUES ET DEMI DE LA VILLE D’AIX RÉSIDENCE ORDINAIRE DE MONSIEUR LE LIEUTENANT.
Ce document n’est pas daté mais on peu lui trouver une
origine entre 1778 et la révolution, en effet, le vocabulaire et le nombre
d’homme par brigade correspond à l’ordonnance édictée de cette année là.
Il s'agit du tableau de marche de la brigade résumant toutes les tournées avec distances et heures de
marche ainsi que les lieux à visiter, il détaille aussi l’état des chemins,
plaines ou montagnes, les dates des foires des lieux de communication, enfin
tout ce qui est utile au brigadier et visible d’un coup d’œil.
Ce même tableau devait être placardé dans les locaux de la brigade de Saint-Tropez avec la consigne de rencontrer le 8, le 10, le 22, et le 26 de chaque mois la brigade voisine dans les montagnes de la Garde-Freinet, y compris les dimanches et jours feriés semble-t-il.
La patrouille basée au Luc devait pour cela emprunter la grande route de "St Tropès" passer le bois du Cannet, traverser les rivières du Riautort, puis l'Aille qui s'orthographiait à l'époque "Haye". Le périple faisait 3 lieues et qu'il fallait compter 4 heures et demie de marche sur "de très mauvais chemins et sentiers".
Le document nous renseigne sur les dates des foires de tous les villages alentours : Pignans, La Mourre, Col(u)brière, Cabasse, Roquebrune etc..., et ces chemins "Trés mauvais, ou de e traverses, ni bons ni mauvais. Ces grandes routes et ces montagnes très hautes....".
Mais bien plus que la récapitulation de la routine le texte se voulait d'une haute importance stratégique, pour contrer les nombreux brigands et forcats évadés du bagne de Toulon se dépêchant en rapinant de rejoindre "l'étranger" c'est à dire le Comté de NICE.
OBSERVATIONS
« Les grandes
routes d'Aix de Marseille, de Toulon, d'Antibes
et de Nice sur lesquelles est établie la Poste aux chevaux, aboutissent toutes
au Luc résidence d'une des brigades de Maréchaussée, et traversent ce lieu
ainsi que les routes de Lorgues et de la Viguerie. Les garnisons dans les forts
de Marseille, de Toulon, et les galères de cette dernière ville fournissent des
déserteurs d'une part, et de l'autre, des forçats échappés. Tous ces transfuges
cherchent à éviter d'être arrêtés dans leur fuite par les brigades, pour cet
effet ils prennent des chemins détournés qui conduisent à Nice. Tels sont ceux
de la plaine de Pignans d'où ils gagnent les montagnes, les bois et lieux
désignés par lettres alphabétique dans l'état cy contre à la 1e colonne des
tournées de la brigade du Luc. Lorsque ces déserteurs ont pu franchir ces lieux
ils se rendent à un des ponts la rivière
d'Argent qui forme une barrière jusqu'à la mer et dont les ponts sont les seuls passages praticables. Il résulte donc
de cette observation que la plaine de Pignans étant soigneusement gardée, et
les deux ponts de même, peu de déserteurs échapperaient aux recherches des
brigades si elles pouvaient, être journalières dans la plaine de Pignans et
particulièrement à ces deux ponts sur la rivière d'Argent qui sont à la
distance de deux lieues et demi l'un de l'autre. Mais pour veiller assidument
sur leur passage il faudrait que la brigade du Luc qui n'est composée que de
quatre hommes, le fut de six, On en jugera
de même si on fait attention au district dont
elle est chargée.
On observera
finalement que tout le commerce du Luc et des environs, consiste uniquement à
l'exportation de leurs huiles. »
On y reconnait la sagacité et le génie tacticien qui a été
transmis à nos chers « bleus » d’aujourd’hui. Mais aussi quelques
renseignements sur les activités économique du pays, l’état des routes et le
nombre de pont, ainsi que la description des usagers de ceux-ci avant les
caravanes d’hollandais.
A noter que le salut des forçats et déserteurs résidaient
dans leur capacité à savoir nager pour éviter de passer aux ponts de la rivière
que nos militaires de l’époque appelaient simplement « rivière d’Argent ».
Aujourd’hui, quand on se rend à ROQUEBRUNE SUR ARGENS en
venant de FREJUS ou du MUY, à l’entrée de la ville on traverse le fleuve sur un pont routier neuf
d’où on voit un beau plan d’eau sur la droite et à gauche l’ancien pont tel
qu’il l’était au 18e siècle. Il ne suffit que peu d’effort pour
imaginer nos deux gendarmes à leur poste lors de leur tournée de surveillance.
NOTE
La maréchaussée est l’ancêtre de la gendarmerie. Les maréchaux
étaient originellement les adjoints du connétable, chef des armées royales tant
du moins que ce titre fut attribué, soit jusqu’en 1626. A l’origine, la
maréchaussée était une juridiction qui connaissait des causes réservées à
l’armée. Les prévôts provinciaux des maréchaux jugeaient les délits et crimes
relevant de leur ressort et appelés cas prévôtaux, selon la qualité des
personnes (soldats, déserteurs, vagabonds) et selon la nature du délit ou du
crime (attaques de voyageurs sur les grands chemins, vols avec effraction, vols
à main armée, émeutes, fabrication de fausse monnaie). Les jugements rendus par
les cours prévôtales étaient sans appel et les condamnations à mort
immédiatement exécutoires.
C’est depuis le règne de Louis XI que les prévôts des connétables et maréchaux de France, d’abord juges des bandes armées, étaient devenus des officiers de justice et de police spécialement chargés d’assurer la sécurité des grands chemins. A partir de François Ier, ils reçurent le concours de cavaliers chargés de constater et de poursuivre les cas prévôtaux.
La maréchaussée fut réorganisée à la fin du XVIIe siècle et durant tout le XVIIIe siècle par une série d’édits, d’ordonnances et de règlements visant à la rendre plus efficace et plus présente dans les campagnes à une époque où le vagabondage fait l’objet d’une répression accrue.
C’est depuis le règne de Louis XI que les prévôts des connétables et maréchaux de France, d’abord juges des bandes armées, étaient devenus des officiers de justice et de police spécialement chargés d’assurer la sécurité des grands chemins. A partir de François Ier, ils reçurent le concours de cavaliers chargés de constater et de poursuivre les cas prévôtaux.
La maréchaussée fut réorganisée à la fin du XVIIe siècle et durant tout le XVIIIe siècle par une série d’édits, d’ordonnances et de règlements visant à la rendre plus efficace et plus présente dans les campagnes à une époque où le vagabondage fait l’objet d’une répression accrue.
La prévôté de la maréchaussée fut instituée assez tard en
Provence et connut des débuts laborieux puisque si l’édit de Follembray
attribuant aux viguiers le titre et la fonction de prévôt date d’août 1543, la
création effective de la prévôté, amorcée en juillet 1554, tourna court du fait
d’un édit de Paris (novembre 1554) qui supprimait les prévôts provinciaux des
maréchaux de France. Rétabli en 1566, à nouveau supprimé, sur la demande des
Etats, en 1574, l’office fut définitivement institué en 1577 mais les gages et
le personnel (des archers ultérieurement rebaptisés assesseurs) demeurèrent
durablement modestes.
L’édit de mars 1720 réorganisa profondément la maréchaussée en France et accentua son caractère territorial en créant dans chaque généralité un tribunal prévôtal et une compagnie de maréchaussée, avec à sa tête un prévôt général nommé par le secrétaire d’Etat à la Guerre, résidant au chef-lieu de la généralité et mis à disposition de l’intendant. Le personnel entourant le prévôt comportait désormais des lieutenants, assesseurs, procureurs, greffiers, exempts, brigadiers et sous-brigadiers, archers et trompettes.
L’ordonnance du 27 décembre 1769 opéra une nouvelle réorganisation consistant surtout à attribuer au prévôt général le grade de lieutenant-colonel de cavalerie, à ses lieutenants celui de capitaine, et aux exempts le grade de lieutenant ; par ailleurs, les soldes étaient revalorisées.
Enfin, l’ordonnance de 1778 assimila la maréchaussée à la cavalerie, ce qui amena de nouvelles dénominations : le maréchal des logis, commandant la brigade, remplaçait l’exempt, le cavalier l’archer. Toute brigade se devait d’être en contact avec les brigades voisines et effectuer journellement des tournées de cavaliers pour surveiller plus efficacement les rassemblements (foires et marchés, fêtes locales).
L’édit de mars 1720 réorganisa profondément la maréchaussée en France et accentua son caractère territorial en créant dans chaque généralité un tribunal prévôtal et une compagnie de maréchaussée, avec à sa tête un prévôt général nommé par le secrétaire d’Etat à la Guerre, résidant au chef-lieu de la généralité et mis à disposition de l’intendant. Le personnel entourant le prévôt comportait désormais des lieutenants, assesseurs, procureurs, greffiers, exempts, brigadiers et sous-brigadiers, archers et trompettes.
L’ordonnance du 27 décembre 1769 opéra une nouvelle réorganisation consistant surtout à attribuer au prévôt général le grade de lieutenant-colonel de cavalerie, à ses lieutenants celui de capitaine, et aux exempts le grade de lieutenant ; par ailleurs, les soldes étaient revalorisées.
Enfin, l’ordonnance de 1778 assimila la maréchaussée à la cavalerie, ce qui amena de nouvelles dénominations : le maréchal des logis, commandant la brigade, remplaçait l’exempt, le cavalier l’archer. Toute brigade se devait d’être en contact avec les brigades voisines et effectuer journellement des tournées de cavaliers pour surveiller plus efficacement les rassemblements (foires et marchés, fêtes locales).
A la fin de l’Ancien Régime, la Provence comptait deux
juridictions prévôtales, l’une à Aix, résidence du prévôt général, et l’autre à
Digne. La maréchaussée était répartie en 13 résidences : 7 relevaient d’Aix
(Aix, Brignoles, Fréjus, Mallemort, Marseille, Toulon et Tarascon), 6 de Digne
(Digne, Apt, Draguignan, Grasse, Manosque et Sisteron). Au-delà de ces
remaniements institutionnels ou géographiques comme de ces changements de
titulature, il convient de retenir que la population se plaignait assez
fréquemment que la maréchaussée, trop souvent employée à d’autres tâches que la
poursuite des brigants, assurait mal la sécurité des grands chemins.
L’insatisfaction était telle que le Parlement de Provence finit, en avril 1780,
par prendre un arrêt autorisant les conseils des communautés à établir des
guets pour veiller à la sûreté publique, aider à la recherche des malfaiteurs
et les constituer prisonniers.
toujours excellence dans la recherche ...merci Daniel
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