lundi 20 avril 2015

LE ROMANCIER, L'AMIRAL, LE PAON ET LE COCHONNET.

Comment un paon et un cochonnet ont volé la vedette au Grand Bailli le jour de l'inauguration de sa statue.



On connait la relation entre et le village de Saint-Tropez et les paons à moitié sauvages qui peuplent les versants  de la citadelle. Moins connue est l’histoire  d’un volatile de cette espèce parvenue jusqu’à nous par l’intermédiaire d’un romancier célèbre.

Est-ce  parce que l’amiral  Suffren avait fait une brève apparition dans son roman « Le collier de la Reine », qu' Alexandre Dumas père s’est vu invité par Martin de Roquebrune maire de Saint-Tropez  à  l’inauguration de la statue de son éphémère personnage ce mercredi 4 avril 1866 ? Ou bien, a-t-il été  présent à la manifestation  de façon fortuite à l'occasion  de son voyage en Italie cette même année?

Quoiqu’il en soit le grand homme venait compléter une belle brochette de personnalités comme : Jurien de la Gravière [vice-amiral, aide de camp de Napoléon III ainsi que le Vice-Amiral comte Bouet-Willaumez, Préfet maritime à Toulon.

On aurait pu penser également  que Dumas se rendait à Saint-Tropez en tant que journaliste : en mission, ou «  free-lance » comme cela pouvait lui arriver, mais les seuls articles de la presse nationale sont signés Georges Bell pour le Monde Illustré et G.B. pour l'Illustration.

En tout cas cet épicurien fit tout de même fructifier l’anecdote en la publiant    vers la fin de sa vie dans  son  Grand Dictionnaire de la Cuisine , « l’oreiller de sa vieillesse » disait-il, et plus prosaïquement une poire pour la soif de son compte en banque. Dans ce recueil outre les définitions de mots touchant à l’art culinaire, l’écrivain mêle aux recettes des anecdotes biographiques.

En complément de sa recette du paon rôti à la crème aigre, Dumas nous raconte donc  comment une fois dans sa vie il a pu consommer cet animal.

GRAVURE REPRÉSENTANT
L’INAUGURATION DE LA STATUE DE SUFFREN
SUR LE PORT DE SAINT-TROPEZ (L'ILLUSTRATION ARTICLE DE G B)

« J'allais aux fêtes données à Saint-Tropez à propos de l'inauguration de la statue du bailli de Suffren. Nous avions été obligés d'abandonner le chemin de fer et de prendre une voiture particulière. A trois ou quatre lieues de Saint-Tropez, la voiture relayait dans un charmant village dont j'ai oublié le nom, et qui était situé au sommet d'une colline de châtaigniers. Pendant ce temps d'arrêt, je passai la tête par la portière, attiré par une partie de cochonnet que quelques jeunes gens jouaient avec la même passion que je l'ai vu faire à Paris, avant que ce noble jeu, qui ne le cède en rien comme antiquité au jeu de l'oie, ne fût exilé des Champs-Elysées. Les jeunes gens levèrent la tête vers la voiture, pour voir quels étaient les étrangers qui s'intéressaient ainsi à leur jeu, et me reconnurent.
A peine mon nom fut-il prononcé, que la voiture fut entourée, qu'il nous fallut descendre, et qu'entraînés vers un café, force nous fut de prendre un grog avec les indigènes du pays.
Au bout de dix minutes, nous étions devenus tellement amis avec nos nouvelles connaissances que celles-ci ne voulaient plus nous laisser partir, et s'obstinaient à nous retenir à dîner.
Nous n'obtînmes un sursis qu'à la condition que nous reviendrions dîner le mercredi suivant, c'est-à-dire trois jours après. Nous étions au dimanche….
 »


                                                                   DILIGENCE DANS UNE RUE DE LA GARDE-FREINET


A l’époque pour se rendre à Saint-Tropez à partir de Toulon, et a fortiori de Paris on descendait du train au Luc en Provence pour franchir le massif des Maures par la route de La Garde-Freinet en diligence ou pour les plus riches en voiture particulière.

L’auteur nous dit qu’il a fait halte au sommet d’une colline de châtaigniers. Il est vraisemblable que ce village dont il a oublié le nom soit LA GARDE-FREINET, cela correspond à la distance de Saint-Tropez 3 ou 4 lieues soit 15 à 20 km[1], il est logique qu’une voiture à chevaux fasse halte au point le plus haut du trajet et ce lieu est  aussi bien connu pour ses châtaigniers.


JOUEURS DE BOULE A LA GARDE-FREINET

Le jeu du  « cochonnet » dont il parle est bien entendu le jeu provençal émanence de la boule lyonnaise qui faisait flores à Paris sur les Champs Elysée au milieu du 19e siècle et disparue comme le signale Dumas dans son récit, ce  témoignage est corroboré par B DURAND qui nous précise  que cette disparition fait suite à l’utilisation inconsidérée du bitume  sur la mythique voie.




Reprenons le récit : « Nous assistâmes aux fêtes de Saint-Tropez, et, à deux heures, malgré l'insistance de nos nouvelles connaissances, nous montâmes en voiture, pour tenir nos promesses envers les anciennes.
Une fois en route, ce fut à nous que vint la crainte que notre invitation ne fût oubliée par nos inviteurs, et, dans ce cas, notre résolution était prise, pour leur faire honte, de nous arrêter à l'auberge et d'y dîner portes et fenêtres ouvertes.
Mais cette crainte ne nous tint pas longtemps. Cent pas en avant du village, nous vîmes une sentinelle qui faisait des signaux télégraphiques ayant une signification d'autant plus claire, qu'ils furent terminés par un coup de fusil.
A peine ce coup de fusil fut-il tiré, que la cloche sonna et que nous vîmes le village en masse venir au-devant de nous. Il n'y avait pas moyen de rester en voiture. Le maire prit le bras de ma fille : le notaire, ce joueur de cochonnet qui m'avait reconnu, et qui, infidèle à une des plus grandes passions qui existât, avait quitté son jeu pour boire un grog avec nous, me donna le bras, et, entourés de toutes les femmes, de tous les enfants réunis à la ronde, nous fîmes notre entrée triomphale dans le village.
Notre étonnement fut grand. Comme dans les beaux jours de Sparte, notre table était dressée sur la place publique. Mais la première chose qui nous réjouit fut de voir qu'au lieu du brouet lacédémonien, la table était chargée de plats du meilleur air, et probablement du meilleur goût, au milieu desquels un paon rôti à qui on avait conservé toutes ses plumes étalait sa queue en éventail et dressait son cou de saphir
 »


                                             REPAS DE FETE A LA GARDE-FREINET AU DEBUT DU XXE SIECLE

« La table était de trente ou quarante couverts, on avait douté du temps, et voilà pourquoi les convives n'étaient pas plus nombreux. Puis, il faut que je l'avoue, peut-être avait-on aussi douté de mon retour. Mais lorsqu'on vit que le temps s'était mis au beau fixe, lorsqu'on fut certain que j'étais arrivé, chacun sortit avec sa table toute servie, et la mit soit devant sa porte, soit à la suite des autres et un quart d'heure après, trois cents convives gesticulaient de leur mieux pour célébrer mon arrivée, qui fut inaugurée par de chaleureux vivats.


A l'époque où la chose arriva, je voulus la raconter, mais pas un journal ne trouva le récit digne de ses colonnes et ne daigna me les ouvrir.  Les journaux ont parfois de ces bienveillances-là, entre eux. »
                                                                                                 DC SEPTEMBRE 2014


[1] Ce qui exclut le village de COLLOBRIERE, dont la châtaigneraie est aussi célèbre, mais son éloignement est incompatible avec la distance donnée.

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