lundi 20 avril 2015

LA VIE DES TROPEZIENS PENDANT LA GUERRE 1939-1945





Le 14 juillet 1939, pour le 150e anniversaire de la Révolution française, les autorités organisèrent une grande fête sur la place du 15e corps avec une rétrospective de la prise de la Bastille. Les enfants des écoles chantaient « La République nous appelle », « le Régiment de Sambre et Meuse » et « Vous n’aurez pas l’Alsace et la Lorraine ».

Un arbre de la Liberté fut planté devant l’école de garçons. Les Tropéziens ne savaient pas encore que la guerre toute proche allait les priver de cette Liberté et qu’il faudrait de lourds sacrifices pour la retrouver. Comme un mauvais présage, l’arbre de la liberté ne passa pas l’été, séchant, sans arrosage en plein soleil ; insouciants, les Tropéziens goutaient les plaisirs de la plage.

A la déclaration de guerre, le 3 septembre 1939, de grandes affiches barrées de drapeaux tricolores sont collées sur les murs des quartiers de la ville ; ce sont les ordres de mobilisation générale de la République française incitant les classes en âge de porter les armes à rejoindre leurs casernes ou arsenaux pour former  l’armée et la marine françaises au combat. L’inquiétude se lit sur les visages car la précédente guerre a fait une centaine de victimes dans le village.

Le moral est bon et la « drôle de guerre commence ». Une unité de cavalerie prend ses quartiers dans l’école de garçons place des Lices, ses chevaux sont alignés sous le mur de la place, puis elle rejoindra le front. Noël arrive et beaucoup d’hommes sous les drapeaux restent loin de leurs foyers. Les permissions sont rares et l’on prépare les colis de Noël, on tricote des lainages pour les militaires. Le grand couturier Paul Poiret habite Saint-Tropez l’hiver. Equipé d’un petit grappin au bout d’une cordelette, il récupère la ferraille dans le port « pour forger l’acier victorieux ». Mais les événements vont évoluer rapidement en mai 1940 ou l’offensive allemande se déclenche à Sedan.

C’est la bataille de France. Puissamment équipée de blindés et d’une aviation moderne, la Wehrmacht perce le front et avance rapidement d’Est en Ouest. L’Italie déclare alors la guerre à la France et des combats aériens se déroulent sur le front méditerranéen. La sirène d’alarme de la ville sonne souvent et les Tropéziens se réfugient dans des abris établis dans les nombreuses caves des immeubles par la sécurité civile. Le 15 juin 1940, plusieurs bombardiers italiens sont abattus dans le ciel tropézien par le pilote d’un chasseur français. Mais le maréchal Pétain demande l’armistice, et les combats cessent après la chute de Paris.

C’est la stupéfaction et la tristesse parmi la population. Le nouveau gouvernement imprime sa politique de « révolution nationale » et installe un conseil municipal dont les membres ne sont pas élus, mais désignés par le préfet du Var. Après la déroute militaire, la population adhère au mouvement, faisant confiance au vieux maréchal Pétain, vainqueur de Verdun lors de la précédente guerre. La France est occupée du Nord jusqu’à l’Atlantique, le Sud demeure zone libre, sous contrôle de commissions d’armistice militaires. Il est alors demandé aux anciens combattants de 1914-1918 de rallier « la Légion », soutien non caché à la nouvelle politique.

Au début, les Tropéziens suivirent le mouvement en faisant serment de fidélité au maréchal, tous réunis sur la place des Lices. Ils étaient tenus le dimanche à venir en ce lieu à la cérémonie des couleurs nationales. Dans les écoles, certains couplets de « la Marseillaise »  étaient interdits et l’on faisait chanter aux enfants « Maréchal, nous voilà… ». Mais pendant ce temps, la nuit venue, les rares possesseurs de postes de radio écoutaient en cachette les nouvelles de Radio Londres, l’émission « Les Français parlent aux Français » et les messages du général de Gaulle. La guerre faisait rage ailleurs mais si de nombreux Tropéziens étaient prisonniers en Allemagne, d’autres rallièrent la France Libre. Le service militaire fut remplacé par les chantiers de jeunesse où les activités et les travaux  forestiers et champêtres étaient prioritaires.

La politique de collaboration menée par l’État français qui avait remplacé la République française obligea les plus jeunes gens à partir travailler pour l’armement en Allemagne. Pour s’en échapper, il fallait prendre « le maquis ». C’est ainsi que fut formé le maquis des Maures, avec les enfants du pays.

Les restrictions furent instaurées sur les produits alimentaires et matières premières. Les cartes d’alimentation étaient délivrées par catégories d’âges. Il y avait les J1, les J2 et J3 pour les jeunes, ensuite pour les adultes, puis les travailleurs de force. Mais l’approvisionnement était rare et le « marché noir » se développa rapidement. Heureusement que les pécheurs tropéziens ramenaient beaucoup de poissons, mais il fallait faire des longues files d’attente devant la poissonnerie et les commerces de bouche. Les femmes enceintes avaient la priorité et étaient servies les premières. Les enfants aidaient les pécheurs à démailler les poissons des filets pour en ramener un peu à la maison et faute de pain mangeaient les oursins à la petite cuillère. En saisons propices, les arrivages de légumes assuraient l’approvisionnement de la population. Choux-fleurs, tomates, fruits étaient les principales victuailles et les Tropéziens découvrirent les topinambours et les rutabagas, dont on nourrissait auparavant les cochons. D’autres avaient la chance d’avoir de petits jardins et les cultivaient pour récolter tomates, haricots verts et salades. Il fallait se rendre à la Garde-Freinet pour trouver des châtaignes et dans le haut Var pour se procurer des pommes de terre. Il existait devant le musée de l’Annonciade une halle couverte appelée marché Gras, du nom de l’architecte qui l’avait offert à la ville. C’est là où la population se ravitaillait avant que le marché se déplace, après la guerre, place des Lices. Les boulangeries délivraient des rations de pain de 200 grammes à 400 grammes par jour, et la viande et les matières grasses étaient encore plus rares. Même le vin et le tabac étaient recherchés et certains faisaient des échanges, poissons contre beurre, huile contre chocolat, fromage contre café. Certains faisaient du savon avec des feuilles de chênes broyées, ou du café avec des glands qu’ils faisaient griller. A cette époque de restriction alimentaire, il n’y avait pas de problèmes de cholestérol et encore moins d’obèses.  

 La Résistance clandestine devait se procurer des cartes d’alimentation pour nourrir ses effectifs. Un jour, elle vint à la mairie, armes à la main, substituer les cartes avant  la distribution à la population. Les vols dans les poulaillers et les jardins se multipliaient. Les enfants partaient heureusement en colonies de vacances vers la Savoie, l’Isère et même en Suisse, grâce au « Secours national » et aux associations caritatives. Les cantines scolaires recevaient des boites de lait américain que l’on servait chaud aux enfants. La saison des vendanges venue, durant un mois, les femmes coupaient les grappes de raisin et les hommes portaient les lourdes cornues sur les charrettes. Ils étaient nourris à midi et les repas copieux de la campagne les changeaient de leurs maigres portions habituelles à la ville. De nombreuses personnes avaient quitté Paris ou d’autres villes de la zone occupée pour la zone libre au sud.

A Saint-Tropez, les activités se multiplièrent l’été grâce aux producteurs de cinéma de la capitale, repliés aux studios de la Victorine à Nice. C’est ainsi que plusieurs films furent tournés à Saint-Tropez en 1941. Le principal fut « Le Soleil a toujours raison » avec comme artistes, Charles Vanel, Tino Rossi, Pierre Brasseur, Delmont et la starlette de l’époque, Micheline Presle. Le port et la Ponche étaient un studio en plein air et de nombreux Tropéziens étaient embauchés comme figurants. La vie reprenait son cours et même la « boite » locale l’Amiral, située rue Allard, repris ses activités attractives avec des artistes de Paris fuyant l’occupation. Charles Trenet y chantait « Douce France » et la jeunesse était à la mode « Zazou « Swing du haut jusqu’en bas ».

A la terrasse de Sénéquier, on consommait des écorces d’oranges confites à la saccarine, mais le nougat était rare. Le cuir manquait également et les semelles des chaussures étaient faites en bois, grosses galoches pour les écoliers, et d’autres à semelles plus fines pour les souliers de ville. Mais pour rendre ces semelles plus pratiques, elles étaient assouplies, à demi sciées, en travers, pour permettre une articulation du bois. Cette articulation cassait rapidement et on jetait les souliers. Par manque de carburants, les véhicules étaient équipés de gazogènes, ensemble encombrant de carburation au gaz de charbon de bois qu’il fallait allumer longtemps à l’avance.

Les distractions étaient peu nombreuses, mais les deux cinémas, La Renaissance et le Star présentaient en fin de semaines des films presque essentiellement Français. La censure interdisait la projection des films américains. Finis les cow-boys avec Tyrone Power, Clark Gable, Errol Flynn, Bette Davis et Vivian Leigh. Des films italiens ou allemands les remplaçaient par « Cavalleria Rusticana », « La ville Dorée » ou « Les Aventures extraordinaires du Baron de Münchhausen ». Des artistes amateurs tropéziens jouaient des opérettes comme « La Fille de Madame Angot » et chantaient l’air de la Calomnie ou « J’aime bien mes moutons ». Les recettes étaient versées aux familles de prisonniers de guerre et au Secours National. Il existait aussi une salle de spectacles au rez-de-chaussée de l’Annonciade ou les collections du musée récemment ouvert n’occupaient que l’étage supérieur. Elle pouvait aussi servir de salle de danse mais les bals étaient interdits. Les tableaux de maitres du musée furent discrètement décrochés et mis en sécurité, cachés dans une meule de foin sur une charrette tirée par un bœuf. Hermann Goering n’aurait pas le trésor pictural de Saint-Tropez.
Mais la guerre continuait. Après les débarquements Alliés en Algérie et au Maroc, et le 11 novembre 1942, des motocyclistes italiens arrivèrent les premiers pour occuper Saint-Tropez. L’infanterie, l’artillerie et la marine suivirent.

De nombreux militaires étaient d’origine de la province du Piémont et retrouvaient ainsi des parents italiens venus plus tôt en Provence pour trouver du travail ou pour fuir le fascisme. Malgré cela, le commandement italien du se plaindre à la mairie des sabotages opérés la nuit sur leurs véhicules par la Résistance. Un jour, un remorqueur italien entra dans le port chargé de centaines de caisses d’oranges provenant d’un bateau torpillé et coulé le long de la cote. S’amusant dans le port sur des « pointus »,  des enfants se virent bombardés amicalement d’oranges par les marins italiens. Par la suite, les Tropéziens informés de ce rare arrivage, se précipitèrent sur le port où les caisses d’oranges périssables furent mises en vente.

Le port recevait périodiquement des convois de péniches réquisitionnées sur le Rhône pour servir à ravitailler les opérations de l’Afrika-Korps depuis les ports italiens. Après les débarquements Alliés au Sud de l’Italie, celle-ci capitula et les forces allemandes prirent positions sur la côte. Le port et le cap Saint-Pierre furent fortifiés après l’évacuation de la population. Les hommes furent requis pour édifier des défenses côtières et pour dresser des « asperges de Rommel » faites de troncs de pins maritimes plantés dans les vignes pour empêcher l’atterrissage des planeurs chargés de troupes. Après un coup de Mistral, les asperges s’étaient inclinées, les trous  pour les recevoir et les maintenir n’avaient pas été creusés assez profonds, sous les conseils de la Résistance.

Les paysans de la plaine des Salins durent transporter dans les vignes, à l’aide de leurs charrettes tirées par des bœufs ou des chevaux, tous ces troncs d’arbres préalablement abattus dans les collines. L’occupant, manquant de main d’œuvre du faire des « rafles » en bloquant les rues Allard et Gambetta. Tous les hommes valides s’y trouvant furent embarqués sur des camions et dirigés à la Foux pour abattre les pins parasols qui gênaient le champ de tir des fortifications. La mairie fut transférée au Couvent des Platanes et les habitants des maisons évacuées du quartier du port durent se reloger vers la campagne.

Les hauts murs qui bloquaient le port obligeaient les gens à passer par la place des Lices pour traverser la ville. Un couvre-feu était obligatoire, il fallait masquer les lumières des fenêtres avec des rideaux et on ne pouvait pas circuler dans les rues la nuit tombée. Ayant failli à ses mesures, trois victimes tropéziennes tombèrent sous les balles de l’occupant. Un collaborateur qui écoutait la nuit les correspondances téléphoniques à la poste fut abattu la nuit par la Résistance. Des camions et des bétonneuses ainsi qu’un transformateur électrique utilisés par l’occupant furent dynamités. Mais il n’y a jamais eu de représailles punitives. Les bombardements successifs sur les batteries côtières s’étaient intensifiés au début du mois d’août 1944, le débarquement était proche.

Dans la nuit du 14 aout, les parachutistes américains sautèrent par erreur sur les collines de Belle-Vue et de Sainte-Anne, déportés de leur objectif : le Muy. Les Tropéziens surpris les aidèrent à s’orienter et a prendre contact avec la résistance locale dirigée clandestinement par le maire de la ville, René Girard et l’officier de réserve Jean Despas. Après de lourds bombardements aériens et navals, le débarquement s’est déroulé victorieusement sur la presqu’ile à la plage de Pampelone où le jeune premier du cinéma français, Jean-Pierre Aumont, était officier de liaison.

Pendant ce temps, le port avait été détruit à l’aide de puissants explosifs, causant d’importants dégâts aux maisons heureusement évacuées. Les troupes allemandes se replièrent à la Citadelle mais avec l’arrivée des de nombreux bâtiments de guerre dans le golfe, leur résistance fut de courte durée. Deux Tropéziens tombèrent lors des combats libérateurs et le soir du 16 août, un raid aérien avec des petites bombes à fragmentation fit de nombreuses victimes dans les rues de la ville. Mais la ville était libérée et la marine française, dotée d’une puissante artillerie y avait largement contribué. L’hôtel Latitude 43 sera le premier quartier général des Alliés en Provence et le général Patch déclencha l’offensive pour libérer Toulon et Marseille.

Le quai Suffren quelques jours après la destruction

Les chantiers
Quai Jean Jaures et Frédéric Mistral

La guerre terminée, la victoire du 8 mai 1945 fut dignement fêtée. Les Tropéziens réunis sur la place des Lices, écoutèrent  à 15 heures, le message de victoire du général de Gaulle diffusé par radio, dans la joie mais aussi dans le souvenir des disparus dans cette tourmente, dont de nombreux déportés dans les camps nazis. Huit jours après, le 16 mai, débuta la Bravade traditionnelle en l’honneur du Saint Patron de la ville. Elle fut appelée Bravade de la Libération. Les Tropéziens étaient restés fideles jusqu’au bout. 

Le 15 aout 1945, les autorités civiles et militaires alliées, réunies sur la place des Lices, assistèrent à l’inauguration par le général de Lattre de Tassigny du premier monument commémorant le débarquement de Provence, un an jour pour jour.
Monument de la Libération

Le 14 aout 1948, la ville a été citée à l’ordre de l’armée.
 « Saint-Tropez, vieille et glorieuse cité, centre de résistance sous l’occupation dés le 15 aout 1944, et malgré les graves dégâts subis par ses installations portuaires, a contribué pour une large part au succès des troupes de débarquement dont elle a su s’attirer l’estime et la reconnaissance. Grâce à l’héroïsme et à l’esprit de sacrifice de ses enfants, a droit à la reconnaissance de la Patrie ». 
Cette citation comporte l’attribution de la Croix de Guerre avec Palme.

                                                                     © François Coppola

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